LE MUSCAT DE FRONTIGNAN

Publié le par BLANC Ludovic

EVOLUTION HISTOIRIQUE DU MUSCAT DE FRONTIGNAN


Le Muscat de Frontignan est l’un des fleurons de la viticulture languedocienne dont la notoriété est acquise dès le Moyen-Age. C’est un vin de luxe, exceptionnel mais, à la différence du Sauternes, son image et son prix ne profitent plus actuellement de cette antériorité historique révélée par de nombreux textes politiques et les consommateurs. Pourtant, les grands noms de la culture européenne ont porté d’élogieuses appréciations. Après Rabelais, les suisses Platter, les philosophes, Locke en Angleterre, Voltaire en France. Sans oublier Jefferson, aux USA.

Cet article fournit quelques éléments de réflexion sur l’évolution de son identité au cours de ces derniers siècles, autour de sa conception et de son élaboration. La technique du mutage généralisée à la fin du XIXème siècle, amorce un profond changement profond dans la nature même du vin Muscat. La réglementation assure une reconnaissance et une normalisation en 1936 lors de l’accession à l’Appellation d’Origine Contrôlée. Mais la période suivante, jusqu’aux années 1990, réduit quelque peu le patrimoine vinicole avec la quasi disparition de la technique du passerillage.
Heureusement, comme dans bien de pays dans le monde, Frontignan redécouvre son vin d’antan, tout en innovant fortement avec les vins muscats secs.

Colette et le Muscat de Frontignan – Prisons et Paradis p.67
«  Je n’avais pas plus de trois ans lorsque mon père me donna à boire un plein verre à liqueur d’un vin mordoré, envoyé de son Midi natal : le muscat de Frontignan. Coup de soleil, choc voluptueux, illumination des papilles neuves. Ce sacré vin me rendit à jamais digne du vin »-

La primauté du raisin muscat et le passerillage
Le terroir de Frontignan privilégie très tôt, pendant des siècles, une viticulture de haut niveau qualitatif en choisissant un cépage d’une extrême finesse, le Muscat à petits grains. Sa situation maritime favorise un courant d’exportation et de diffusion du vin dans les aristocraties, les cours royales et impériales de l’Europe.
Le Muscat est un cépage très célèbre dans le bassin méditerranéen. Il est bien identifié chez les romains comme Apiane ou raisin des abeilles. Columelle décrit
« trois espèces de raisin muscat, qui sont aussi recommandables par leurs grandes qualités : toutes les trois sont fertiles, et s’accommodent assez bien du joug et des arbres. Il y en a cependant une meilleure que les deux autres, et dont les feuilles ne sont point couvertes de duvet », et en apprécie la qualité « elles sont célèbres par l’excellence de leur goût. » 
Tous les manuels d’agronomes le mentionnent. Au milieu du XVIIIème siècle, Sieur Liger fournit une description d’une douzaine de variétés de muscat, mais il classe celle de Frontignan en premier “Le muscat blanc ou de Frontignan a la grappe longue, grosse et pressée de grains ; ” il est excellent à manger, à faire des confitures, de bons vins et à sécher au four et au soleil.”
La valorisation du muscat passe par une recherche de produit de nature liquoreuse, en particulier avec le passerillage.
Le passerillage est un état de surmaturation de la vendange sur pied, les grains de raisin prennent un aspect flétri, la teneur en sucre du jus s’accroît fortement. Olivier de Serres parle de raisins que l’on fait pansir ou emmatir. Quelques astuces de l’homme comme le pinçage ou la torsion des grappes favorisent le phénomène de passerillage. Cette production nécessite beaucoup d’attention de la part des vignerons, de soins apportés au raisin puisqu’il reste en bon état sanitaire et un long travail pour le pinçage.
Dans le « Théâtre d’Agriculture et Mesnage des champs » publié en 1600, Olivier de Serres préconise cette technique dans le froid Vivarais (Ardèche) : « par artifice, imitant nature, l’on faict emmatir les raisins à la vigne, en leur tordant le pied sur le cep, où, suspendus, les laissent trois ou quatre jours, pour leur faire défaillir leur accoustumée humeur, ainsi desséchant les draches ou les rafles, se rendent les raisins très capables de rendre bons vins »
En fin du XVIIIème siècle, l’Abbé Rozier justifie expérimentalement les bienfaits de cette option ” tordez la queue de la grappe d’un raisin sur son cep, et laissez sur le même cep un autre livré à lui-même; attendez qu’ils approchent de leur maturité parfaite, gouttez plusieurs jours après, et comparez la saveur de l’un et de l’autre, vous donnerez nécessairement la préférence au premier: voilà pour le resserrement des filières et la discontinuité de la communication d’une sève trop aqueuse.”
D’autre part, le passerillage ne tolère pas des charges en raisins importantes pour favoriser la migration de sucres; après passerillage, les rendements sont très limités, de l’ordre de 8 à 10 hl à l’hectare.
Les vendanges sont tardives. Avant l’arrivée de l’oïdium et les traitements au soufre, elles peuvent atteindre la deuxième quinzaine d’octobre. Il en résulte des volumes très fluctuants et aléatoires, certaines années, la qualité des raisins lessivés de leurs sucres n’autorise pas la production de vins.
L’élaboration du vin est décrite dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : « Voici la manière dont on fait le vin muscat à Frontignan : on laisse sécher à moitié les grappes sur le sep de vigne, ensuite on les cueille, on les foule et les presse, et on met dans un tonneau la liqueur qui en sort, sans la laisser travailler dans la cuve, parce que la lie de ce vin contribue à sa bonté. »
En effet, l’élaboration de vin paraît être la seule destination de cet état physiologique comme le mentionne la ci-dessus Encyclopédie :
« Le raisin muscat n’est presque plus mangeable dès qu’il est parfaitement mûr, et cela à cause de la viscosité de son suc, dont nous avons parlé au commencement de cet article ; viscosité qui dégénère même en une certaine âcreté ; et lors même qu’on le mange avant qu’il soit parvenu à ce point, il n’est jamais très salutaire »

II. L’innovation à la cave : le mutage
Pourquoi le système de passerillage va-t-il devenir marginal, et donc voué à la disparition ? La réponse trouve ses fondements principaux dans l’innovation technique et la pression économique.

a) L’innovation technique : la distillation en continu.
La distillation est appliquée aux vins et aux marcs de raisin.
L’alcool est d’abord produit sous forme d’eau-de-vie, souvent de mauvaise qualité. L’eau-de-vie est appelée “preuve de Hollande”, et son degré se situe entre 45-50° Baumé seulement.
Selon l’Abbé Rozier, “Les eaux-de-vie de marc ont toujours une mauvaise odeur parce qu’ils (les marcs) sont distillés à feu nu. M. Baumé a reconnu, par l’expérience, que les marcs distillés au bain marie fournissent un tiers en moins d’eau-de-vie que lorsqu’on les distille à feu nu.” Appréciation analogue dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert : « Toutes les eaux-de-vie et même la bonne eau-de-vie de France, qui est la plus parfaite de toutes, ont en général un goût de feu et une certaine âcreté qui les rendent désagréables, et que cette mauvaise qualité leur est enlevée absolument par la nouvelle distillation qui les réduit en esprit-de-vin. »
Les techniques de distillation sont rudimentaires, dans des chaudières chauffées directement. La distillation est réalisée par petite quantité de vin ou de marc, en discontinu. Des goûts peu agréables sont extraits en début et en fin des distillations. Ces “phlegmes”, support de mauvais goûts, commencent à disparaître avec la rectification qui permet d’obtenir des alcools de plus en plus purs, l’esprit-de-vin; mais pour cela, il faut re-distiller les eaux-de-vie, ce qui nécessite d’autres chauffes et engendre une augmentation sensible des coûts. Hélas, le Midi n’a pas les ressources en bois nécessaires et à bas prix.
L’innovation a ses racines dans le développement industriel des distilleries de vin. Au début du XIXème siècle, Edouard Adam, de Nîmes, met au point une technique et un alambic qui assure une distillation en continu pour obtenir des alcools rectifiés à degré élevé. Cellier Blumenthal et Derosnes (1818) sont à l’origine du distillateur “alambic à jet continu”, qui équipe les distilleries. L’opération de distillation ne s’arrête pas grâce au flux continu de liquide à distiller, ce qui permet de diminuer les coûts sensiblement et d’assurer plus d’homogénéité sur la qualité de l’alcool.
A partir des marcs de raisin, des piquettes sont produites et distillées à leur tour.
Seuls les alcools de type trois-six , dénomination d’un alcool fort de 85-86° Gay Lussac, peuvent remplir correctement la fonction de mutage grâce à la neutralité de leur goût. Ils sont commercialisés sur les marchés des alcools de Pézenas, Montpellier et Béziers.

b) Le privilege réglementaire : la franchise fiscale.
Des droits élevés viennent grever le prix des alcools, au niveau de leur circulation et de la consommation. Pour l’ Etat, c’est une source séculaire et toujours actuelle de revenus.
L’innovation technique est renforcée par un privilège relatif l’accès à l’alcool pour le producteur dans un système éminemment profitable : la franchise fiscale.
En effet, il a fallu intégrer l’alcool dans le système viticole des producteurs de Muscat avec une limite pour l’ Etat : eux seuls bénéficient d’une franchise dès lors que l’alcool provient de leur propre exploitation. Ceci va avoir pour conséquence la bipolarisation entre les viticulteurs eux-mêmes. Les plus gros propriétaires peuvent monter leurs propres distilleries pour produire le trois six indispensable au mutage; ils disposent de quantités de marcs et de lies importantes qu’ils complètent en traitant les marcs et lies achetés auprès des petits vignerons.
A l’opposé, les plus petits ont du mal à produire eux-mêmes cet alcool pour de simples raisons pratiques, l’accès à l’alambic moderne; les alambics itinérants sont peu performants en quantité et en qualité pour distiller les marcs. Le prix de l’alcool sur le marché est trop élevé pour rester compétitif.

c) La pression économique.
La pression est exercée par le négoce pour satisfaire son propre développement.
En effet, la production doit être capable de fournir des volumes importants et surtout de manière la plus régulière possible. Cette exigence double est toujours d’actualité.
La technique de passerillage se révèle comme un goulot structurel par son coût. De plus, il ne faut pas oublier que les muscats de cette origine sont des vins biologiquement vivants ; en principe le risque de reprise de fermentation partielle est mineur si la vinification est correcte notamment au niveau du remontage des lies pour favoriser l’activité levurienne. Risque que le négoce ne souhaite probablement plus assurer. N’oublions pas que dans les années 1860-70, les travaux de Pasteur aboutissant à une maîtrise des fermentations se diffusent.

d) L’environnement vinicole local: l’influence de Sète.
Le port de Sète est récent, création de Colbert en 1661. Il n’a pas une culture du vin aussi profonde que celle de Bordeaux ou de Narbonne.
Il est perméable aux idées de diversification, en particulier dans le domaine des vins aromatisés. Certes, depuis Baumé, de multiples ouvrages indiquent la manière de faire des vins à la façon de « xxx », c’est-à-dire des vins d’imitation. Mais Sète devient la principale ville se vouant à cette spécialité grâce à ses approvisionnements en alcools et en vins et surtout en aromates de toutes origines.
D’autre part, le savoir-faire d’émigrants méditerranéens, surtout italiens, est fort utile.
Or, à partir du milieu de XIXème siècle, Sète en pleine croissance bénéficiant des deux infrastructures maritime et ferroviaire, Frontignan entre dans son orbite économique et devient sensible aux avantages d’une viticulture fournissant une matière première pour la vermoutherie. Ainsi s’installe une pensée viticole sur des fondements financiers, qui tend à préférer la facilité du marché aux dures exigences d’une viticulture fondée sur le passerillage.
Dès lors, le vinage apparaît être la solution. Pour les Vins Doux Naturels qui se mettent en place, le terme plus flatteur de mutage est retenu.

e) Les conséquences à la vigne et à la cave.
A la vigne, les techniques de pinçage et de torsion des grappes pour obtenir ce passerillage sont progressivement jugées archaïques. Leur coût est élevé. Aussi, une bonne maturation est simplement recherchée et les risques de dégradation irréversibles de l’état sanitaire s’en trouvent limités. Les rendements s’élèvent même s’ils restent faibles par rapport au vignoble de vin de table, car atteindre le niveau requis en sucre est facilité. A la cave, le mutage en cours de fermentation devient une opération classique, la norme.
La conséquence fondamentale est que désormais, l’esprit du vigneron se focalise sur la question du mutage, en particulier dans son contenu fiscal comme le montrent toutes les tentatives de changement de régime et les mobilisations viticoles dans les années 1990. La maîtrise technique du mutage conditionne l’élaboration du Muscat, et les connaissances scientifiques assurent un soutien technique.

F) L’appui des lois.
L’appareil législatif se met en place pour pérenniser ce passage à des Vins Doux Naturels obtenus par la vinification de raisins simplement mûrs.
La Loi du 13 avril 1898, article 22 suivie par celle du 30 janvier 1907, article 10 admet que tout producteur possédant des cépages susceptibles de faire des vins assez riches pour titrer naturellement 14° au minimum si l’on n’arrêtait pas la fermentation avant son complet achèvement, pourrait bénéficier de la fabrication des Vins Doux Naturels.
La pression politique catalane obtient un avantage supplémentaire : la Loi du 15 juillet 1914 restreint l’application des VDN à quatre cépages : muscats, grenache, maccabeo et malvoisie. D’autres sont donc éliminés, en particulier les clairettes, de réputation historique incontestable. Le Roussillon devient ainsi le centre majeur des VDN, avec une forte concentration autour du Rivesaltes et son Muscat le plus renommé en Europe, au début du XIXème siècle selon Jullien.

II. Dépossession et médicalisation: l’univers des apéritifs et le négoce

A) – Une tradition : imitation et médecine.

De tous temps, des pratiques permettent d’élaborer des « copies » de Muscat avec des recettes relativement simples. Pour Olivier de Serres, « la fleur de sureau, cueillie au moy de May, seicchee à l’ombre, et gardee iusques aux Vendanges, donne au vin la senteur de musquat ».

Des variétés plus ordinaires sont utilisées, tel le muscat d’Orléans ou gennetin: au XVIIIème siècle, les limonadiers et les cabaretiers de Paris vendent souvent le vin de gennetin pour le vrai muscat de Frontignan. Le chimiste Ettmuller signale les falsifications de vins du Rhin transformés en muscat par infusion des fleurs d’orvale et de sureau réalisées par les cabaretiers allemands au XVIIIè siècle.
Un engouement se porte sur des boissons à la fois, médicaments et source de plaisir; les ratafias, boissons sirupeuses, alcoolisées et aromatisées sont en vogue dans une société en quête de raffinement. Le ratafia de muscat est décrit dans de nombreux ouvrages de l’époque. Les propriétés thérapeutiques du muscat sont célébrées depuis fort longtemps. Les vertus médicales du Muscat sont décrites par Galien.

« Le vin doux alourdit moins la tête que le vin vineux, il atteint moins le cerveau et il est plus laxatif pour l’intestin. Il fait grossir la rate et le foie, il est donc contre-indiqué pour ceux qui ont de la bile amère, à qui il donne soif. Par ailleurs, il crée des flatuosités dans la partie supérieure de l’intestin, sans être pour autant nocif de ce point de vue à sa partie inférieure : c’est que les flatuosités produites par le vin doux ne passent pas très bien mais s’attardent autour de l’hypocondre. » Hippocrate revu par Galien

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert précise l’usage du Muscat :
« Les vins de Frontignan, de la Cioutat, de Canteperdrix, de Rivesalte, sont comparables aux vins de Saint-Laurent et de Canarie. Ils ne conviennent point pour l’usage ordinaire, et ils ne sont bons que lorsqu’il s’agit de fortifier un estomac trop froid, ou de dissiper quelque colique causée par des matières crues et indigestes. On en use aussi par régal, comme on use des vins d’Espagne. » 
Il ne faut pas oublier que Montpellier a été une place importante dans le secteur aromatique, avec les parfums.
Mais la déstabilisation la plus pernicieuse s’exprime au cœur même du système de production et touche l’identité du Muscat. Un engrenage très particulier tend à faire oublier, à marginaliser le raisin au rang de simple matière première très sucrée et surtout fait glisser le pouvoir économique et politique viticole vers l’aval, le négoce. Cazalis-Allut, expérimentateur et producteur à Aresquiers, et Lacrouzette-Belonnet, maire de Frontignan font part des risques alors encourus.

B) L’intégration production – négoce.
Très actif depuis le début du XIXème siècle, le négoce sétois renforce sa puissance par des achats de vignobles. Le nouveau système technique les renforce.
La conséquence est l’émergence d’une nouvelle catégorie sociale : les propriétaires-négociants qui intègrent les fonctions de viticulteur, distillateur, transformateur et négociant. C’est la classe sociale dominante économiquement et politiquement comme on peut le constater avec la liste des élus, des maires.
Les grandes familles propriétaires de Frontignan bénéficient d’un avantage compétitif lié à la franchise fiscale. En effet, la loi de 1898 ne permet pas aux négociants exclusifs de bénéficier du privilège de franchise s’ils achètent et vinifient eux-mêmes.
Cela a bien sûr des conséquences sur les petits producteurs, qui non seulement ont du mal à bénéficier du mutage, mais en plus n’accèdent pas directement au marché. Comme dans l’ensemble du Midi, à la suite des petits vignerons allemands ou suisses, la vinification en commun en cave coopérative devient l’ultime recours.
Fait innovant en coopération, et précurseur sur les vineries, le négoce va lui-même participer à l’organisation des petits producteurs avec la mise en place de la Société Coopérative anonyme à capital variable de producteur de muscats de Frontignan en 1910. L’engagement de la famille Anthérieu est à souligner avec ses facettes au niveau négoce, de la production et de la coopération : Victor Anthérieu achète la production de la cave selon un contrat passé entre les deux parties. Frontignan dispose ainsi d’une des toutes premières coopératives vinicoles de France. La société de vente créée en 1912 se substitue au négociant V. Anthérieu.

C) La stratégie de diversification.
Les négociants spécialisés de Frontignan sont regroupés en syndicat du commerce en gros. A l’occasion de la mise en place de la VIIème fête nationale des Vins de France, ce syndicat présente une liste de 58 noms dont 56 patronymes de familles frontignanaises (1939). Les Indicateurs Gervais de 1897 et 1903 puis les « Bottin » de l’Hérault confirment cette double fonction.
Avec une grande spontanéité, est mise en avant “toute la gamme des Apéritifs, Quinquinas, Vermouths, Rancio Picardan, toutes les variétés d’excellents vins de liqueur et vins doux naturels, sans oublier les vins blancs secs et moelleux, les vins rouges supérieurs et les vins pharmaceutiques”.
Il faut attendre les dernières lignes pour avoir enfin un regard sur le muscat
“ Enfin, ce commerce, sachant ce qu’il doit au roi des vins: “le Muscat de Frontignan” dont il est le principal distributeur, ne ménage aucun effort afin que ce vin fameux – inégalable et inégalé – affirme davantage encore sa renommée Nationale et Internationale ”(1)
Ces quelques mots illustrent bien le rang du vignoble dans les préoccupations mercantiles.

D) L’image du Muscat dans l’univers des apéritifs.
Dans son « Traité de vinification » le professeur Jules Ventre rappelle l’origine du succès des Muscats :
“ Les muscats du Languedoc (Frontignan, Lunel) ont eu, il y a un peu plus d’un siècle, une grande réputation. Ils se fabriquaient uniquement avec des raisins arrivés à l’extrême limite de la maturation. Aussi avaient-ils sur les produits de fabrication moderne l’avantage d’être plus liquoreux et surtout moins acides. ”
Car, entre les deux guerres mondiales, le Muscat de Frontignan évolue dans sa nature profonde. Vin de prestige et de plaisir autrefois, il acquiert une image de vin populaire via une approche médico-pharmaceutique. La société médicale du XXème siècle intervient. Le point culminant est atteint avec les vins médicinaux de la société “La coopération pharmaceutique française de Frontignan” dirigée par le pharmacien J. Bourdou.
La production de Muscat s’efface inexorablement devant celle des vins aromatisés ou pharmaceutiques. L’aromatisation des vins est pratiquée depuis l’Antiquité, surtout pour cacher les goûts douteux et faciliter la tenue des vins au transport. . Mais la justification médicale est à nouveau mise en avant, comme au temps des ratafias. Ceci n’est pas sans rappeler l’actualité autour des bienfaits des polyphénols et des maladies “modernes” !

Résultat d’une combinaison savante de vrais vins de liqueur de Grenache ou de Muscat et d’une lente macération d’écorces de quinquina, de noix de kola ou de feuilles de coca, les médecins les ont toujours reconnus comme possédant des vertus thérapeutiques encore inégalées par d’autres médicaments. Grâce à leur forte teneur en alcaloïdes, à leur grande richesse en principes actifs et à leur goût agréable, ces vins constituent le type parfait de Vins Thérapeutiques. » J. Bourdou, Pharmacien-Directeur des Vins Cooper Frontignan.

Mais la tendance historique longue de la viticulture est d’exprimer au mieux raisin et terroir.
Aussi, cette stratégie dans l’univers des apéritifs est justifiée par l’émergence d’une demande particulière de diversification des boissons. Pour le négoce, c’est aussi une reprise en main en cantonnant le raisin à une matière première de base et non plus noble et rare avec le passerillage archaïque. C’est le courant dominant dans la pensée viticole lors de la reconstitution du vignoble post phylloxérique ( F. Cazalis, Coste-Floret…)
La communication des maisons de négoce se focalise sur les vins cuits, vermouths, quinquina, cola, coca, malaga français, vins toniques, vins de viande(!) pour un plaisir immédiat et simple. . Le vin de Kola et le vin de Coca élaborés dans les chais des “Vins Cooper” traduisent une anticipation habilement valorisée ensuite par une firme d’Atlanta.

En conclusion, Frontignan offre une bonne illustration d’un terroir viticole. Si les caractéristiques géologiques, pédologiques, climatiques et le cépage muscat assurent un produit original, le terroir est un lieu de création continue pour les hommes. L’histoire montre une forte évolution dans la déclinaison des vins, et donc dans l’identité finale.
Face à la concurrence comme le montre une manifestation telle que Muscat du Monde, c’est bien la dynamique humaine et le projet technico-économique qui l’emportent sur un relatif déterminisme de la nature !

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